Compte rendu du colloque Local memories in a nationalizing and globalizing world, 1750 up to the present
Anvers (Belgique), 15, 16 et 17 octobre 2009
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Le colloque très international – bien qu’avec une forte présence belge, mais aussi une bonne représentation canadienne et étasunienne – qui s’est tenu à Anvers en octobre 2009 partait d’une association considérée comme évidente entre identité et mémoire. A l’instar de la pensée de Maurice Halbwachs, la mémoire collective y était regardée comme constitutive de l’identité sociale et, à travers elle, de l’identité individuelle. Il était de plus souligné que ce concept de mémoire collective est utilisé surtout par des historiens pour comprendre les identités nationales. Néanmoins, le cadre national ne va pas toujours de soi dans un monde globalisant, d’autant qu’il se trouve en dialogue constant avec le local. Ce colloque avait pour but d’attirer l’attention des historiens – trop souvent encore pris par des réflexes nationaux – sur le niveau local en interrogeant la façon dont les mêmes concepts qui décrivent la mémoire collective peuvent s’y appliquer et ce qu’implique l’interaction des divers niveaux – local, national, global.
Les organisateurs du colloque, membres du centre d’histoire politique et du centre d’histoire urbaine de l’Universiteit Antwerpen de l’unité de recherche d’histoire culturelle de la Katholieke Universiteit Leuven, ont pris comme point de départ l’idée que des mémoires collectives sont des constructions faites plus ou moins consciemment et avec le but plus ou moins exprimé de forger une identité. De ce point de vue, la mémoire collective est une stratégie d’usage du passé. Des conflits parfois politiques entre divers groupes, identités ou appartenances dans une société sont par conséquence également des conflits entre divers regards sur le passé. Néanmoins, l’usage du passé dans la mémoire locale ne se réduit pas à des usages politiques. Souvent, il faut aussi prendre en compte la dimension économique. On peut alors facilement parler de la « consommation du passé ». Ainsi Anne-Marie Thiesse a montré lors de son intervention que « la mémoire des vignerons » produites par certaines associations ou « la mémoire des cathares » en France sont souvent des stratégies pour attirer des touristes et pour vendre des produits, sans qu’il soit fait nécessairement référence a une vraie tradition. La mémoire est aussi la propriété des publicitaires, et cette mémoire théâtralisée pour le commerce peut ensuite être appropriée par la population.
A première vue, les conflits entre différentes mémoires semblent souvent des conflits entre mémoire nationale et mémoires locales ou mémoires de groupe particulier qui ne se sentent pas reconnus par ce grand récit mémorielle. Plusieurs interventions lors du colloque ont montré pourtant que ce n’est pas l’histoire entière des mémoires locales. Dans beaucoup de cas, les usages du passé par des entités locales sont plus subtils qu’une simple revendication de reconnaissance. Aussi, la relation entre différents niveaux de mémoire est plus compliquée qu’il n’y paraît. Souvent la mémoire locale se nourrit de la mémoire nationale ou inversement. La façon dont ce processus se déroule dépend du but de ces mémoires respectives. Ainsi, Anne-Marie Thiesse a montré que la mémoire nationale française sous la Troisième République se transmit souvent par l’attention au local et différents intervenants ont attiré l’attention sur plusieurs exemples de reprises nationales des mémoires locales dans d’autres contextes. En revanche, Tuuli Lähdesmäki montrait comment des communautés locales se sont appropriées la mémoire nationale finlandaise dans leurs mémoires locales, par le biais des monuments nationaux en hommage aux grands hommes politiques. Bien que les mémoires construisent toutes des identités, il n’y a pas de modèle simple qui pourrait clarifier les liens directs du passé au présent. Les buts des mémoires locales et nationales concernées sont diverses et la façon dont on construit la mémoire correspond à cette diversité. De ce côté, l’histoire est un puits inépuisable, et il n’est d’ailleurs pas toujours nécessaire qu’il s’agisse d’une histoire réellement passée. La frontière entre histoire, vision dérivée de l’histoire et mythe est très mince.
Tout cela met immédiatement le doigt sur une difficulté de ce colloque. En effet, quel est précisément la nature de ce « local », lorsqu’on parle de « mémoire locale » ? Le mot implique qu’on parle d’un lieu, d’une entité géographique. Pourtant, chez certains intervenants, cela semblait désigner davantage des communautés de personnes, parfois non clairement rattachées à un lieu fixe (des supporters de foot dans l’intervention de Matthew McDowell, des Sikhs chez Anne Murphy). Parfois, il s’agit plutôt d’une mémoire d’un lieu (dans le sens du « lieu de mémoire » de Pierre Nora, c’est-à-dire : des différentes mémoires que différents groupes ont d’un lieu) que de celle sur le lieu lui-même. Comment le local se limite-t-il ? Est-ce par son caractère propre ? Mais ce caractère est justement constitué par la mémoire, donc ce raisonnement est circulaire. Quelle taille a le local ? Celle d’une ville ? Celle d’une région ? Dans le cas de la mémoire québécoise par exemple (intervention de Daniel Poitras) on peut se demander si « local » n’est pas l’équivalent de « national » (en effet, la choix du terme relève probablement d’une position politique plutôt qu’historiographique). On peut voir un problème de confusion similaire avec les sens multiples du mot « mémoire ». Parfois on parle de mémoires spontanées, parfois de noms de rues (Chantal Kesteloot) et souvent de monuments dont on se demande de temps en temps s’ils vivent vraiment « dans la tête des gens ». Tous ces problèmes font que le colloque en est trop resté à un rassemblement de propositions disparates et incomparables. Peut-être est-il même plus difficile de dire quelque chose de général sur l’usage du passé dans la mémoire locale après ce colloque qu’avant.
Une observation générale, malgré tout, pour finir. Il est frappant de voir à quel point les historiens choisissent souvent d’étudier leur propre région de naissance. Rares sont les cas où l’on cherche un sujet plus lointain. Dès lors les historiens eux-mêmes font en quelque sorte partie de la construction de la mémoire collective locale qu’ils étudient. Leur choix d’étudier leur propre région ne serait-il pas en partie guidé par des sentiments d’appartenance et de familiarité ? Et il faut toujours se méfier de ne pas être capté par cet engagement, comme ce fut le cas par exemple dans la discussion qui a suivi une intervention sur le Québec, où les participants canadiens anglophones et francophones se sont mis à utiliser les pronoms personnels « nous » et « vous » dans leurs échanges. L’histoire n’est pas neutre, ni les historiens.
Site internet du colloque:
http://www.ua.ac.be/main.aspx?c=.LOCALMEMORIES&n=64446