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Usages Publics du Passé

Usages Publics du Passé

Le projet

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1. Prémisse
2. Les usages publics du passé
3. Nos objectifs
4. L’atelier international de recherche

 

 

Prémisse

Les dernières décennies semblent avoir connu un double processus, apparemment contradictoire, de passion pour le passé d’une part, et de perte de confiance dans la connaissance historique, de l’autre. Elles sont marquées par l’inflation de différents modes, au demeurant ordinaires, de la présence du passé parmi lesquels la commémoration, la patrimonialisation et la référence à la « mémoire ». Mais un scepticisme non moins ordinaire, irréfléchi, fondé sur l’idée selon laquelle l’histoire a toujours été et sera toujours écrite par les vainqueurs, semble prévaloir. De ce penchant au soupçon, on trouve trace dans la presse (« l’histoire manipulée », « l’histoire occulte », « ce que les historiens vous ont caché ») et aussi dans la littérature. Ce premier constat demande à être explicité. Il gagne encore en complexité si on y ajoute la montée en puissance d’une historiographie au sens large, qui a renforcé la figure du témoin, désormais centrale dans un espace public de plus en plus médiatisé et toujours plus demandeur d’authenticité et d’immédiateté.

C’est dans ce climat complexe qu’une série d’« affaires » ont mobilisé les opinions publiques sur des objets d’histoire : de la mémoire de l’esclavage à l’or des nazis, de la guerre d’Algérie aux crimes du communisme, de l’accusation de meurtre rituel contre les juifs au Risorgimento italien. La multiplication des controverses publiques et autres polémiques constitue sans nul doute une raison majeure pour que la question des usages politiques du passé soit devenue un thème récurrent de la réflexion des historiens. De fait, les sujets les plus débattus sont fréquemment liés à des événements spécifiques de l’histoire contemporaine (tels que l’arrestation de Jean Moulin, l’Enola Gay Controversy, les crimes commis à Nankin, le massacre des Fosses Ardéatines à Rome), mais ils peuvent également avoir trait à des questions « identitaires » de longue période concernant la définition nationale ou religieuse (dans ce cas, les traces du passé sont mises en intrigue comme fondement pour des discours de fondation ou de rupture).

Le foisonnement de colloques et d’articles, la constitution de comités de vigilance, les débats au sein des associations professionnelles, montrent assez que des historiens de tous les pays se donnent pour objet de mettre en lumière les « déformations » de l’histoire et leurs raisons proprement politiques. Il nous semble qu’il serait maintenant important d’élargir la notion d’usage public de l’histoire et donner une plus grande continuité aux différentes initiatives locales et individuelles.

Les usages publics du passé

Au tout début des années soixante-dix déjà, Moses Finley faisait le constat que les usages, notamment politiques du passé, n’étaient pas chose nouvelle et encourageait historiens et « sociopsychologues » à se saisir de cet objet et à en faire « exercice historique légitime ». La notion d’usage public de l’histoire a été ensuite développée pendant l’Historikerstreit par Jürgen Habermas, pour opposer une arène savante, neutre (où l’observateur parle à la troisième personne) à une arène publique et médiatique (où chaque participant parle à la première personne) [voir Habermas, 1988]. Au cours des années suivantes, des études ont élargi cette expression. Elles ont mis en lumière en particulier la manière dont différents acteurs sociaux représentent le passé, dans le champ du patrimoine (musées, monuments, cérémonies), à l’école, dans les médias de communication de masse, parmi les associations locales, etc. [voir Gallerano, 1995, Hartog et Revel, 2001, Bensa et Fabre, 2001]. Il nous semble important d’approfondir cette perspective, évitant de rabattre la notion d’usage sur celle de manipulation ou d’instrumentalisation à des fins politiques. L’usage du passé, le plus souvent indissociable du recouvrement du passé, ne porte pas nécessairement le risque du mésusage.

Nos objectifs

Notre programme de recherche se fonde complémentaires.en particulier, sur trois considérations:

La première concerne ce qu’on pourrait appeler la géographie des affaires : il nous semble essentiel d’aller au delà de la dimension nationale et d’envisager des formes d’internationalisation voire de globalisation. Les affaires les plus brûlantes de ces dernières années concernent essentiellement deux types de situations. Il s’agit pour une part des relations entre deux ou plusieurs entités nationales : par exemple, les vicissitudes historiques qui lient et divisent Corée, Chine et Japon, Israël et Palestine, Pologne et Allemagne, les pays balkaniques, Chypre, etc. Il est significatif que, s’inspirant du manuel d’histoire franco-allemand, tous ces pays soient en train de travailler à la réalisation de manuels d’histoire communs pour le secondaire. Mais il s’agit aussi d’autre part de problèmes exacerbés par des tensions et parfois aussi par des équivoques, qui ne sont pas compréhensibles à l’échelle nationale : c’est le cas de l’or des nazis en Suisse, de la traite des noirs, de la mémoire de la colonisation, et de l’accusation de meurtre rituel contre les juifs. Ces décalages, entre diverses perceptions du passé, contribuent également à constituer les usages du passé en enjeu politique et social.

La deuxième considération touche à l’espace public. Les réflexions récentes sur les usages politiques du passé ont souvent été marquées par la nostalgie d’un prétendu « Âge d’or » (sans doute largement surestimé) dans lequel le passé aurait été l’apanage des historiens. Il convient sans doute de dépasser ce point de vue et de se donner les moyens d’analyser les processus de communication et les transformations contemporaines de l’espace public – dans ses multiples dimensions, nationales, religieuses, médiatiques, etc., qui souvent se superposent ou s’entrecroisent. Toujours dans cette même perspective, nous voudrions nous interroger plus avant sur la question de nos responsabilités en tant que chercheurs. Comme l’ont amplement montré l’affaire Aubrac ou l’affaire Toaff, parmi d’autres, le temps de la réflexion et la constitution d’un espace spécifique pour ce faire s’imposent pour penser, au delà de l’urgence de telle ou telle affaire, le rôle de l’historien dans l’espace public. L’historien n’est pas, pas plus que le législateur ou le juge, en position de « tiers absolu ». Mais il peut aider à former des « dissensus » respectueux de l’épaisseur du passé et porteurs d’une responsabilité mieux partagée au présent.

La dernière considération concerne enfin la confrontation avec d’autres formes de connaissance du passé. Quand les historiens professionnels n’ont pas, de fait, l’exclusivité de l’interprétation du passé, il nous semble qu’il serait utile d’envisager de manière plus systématique d’autres vecteurs de la mémoire sociale, tels que la littérature et le cinéma. Il ne s’agit en rien ici de replacer l’histoire sous la houlette des arts ; le dessein est, plus simplement, de cultiver une politique de confrontation avec ceux-ci, afin de conférer plus de profondeur et de variété au discours historique.

L’atelier international de recherche

Afin de nous donner les moyens d’aborder ce programme, nous souhaitons créer un atelier de recherche sur les usages publics du passé. Le terme « atelier » indique suffisamment que nous récusons tout point de vue étroitement normatif et que nous n’invitons pas à la constitution d’un nouvel organisme de contrôle des usages du passé.

C’est dans cette perspective que nous nous proposons de publier en ligne des interventions très différentes:

  • des analyses de cas spécifiques (dans la rubrique « affaires et controverses »).
  • des réflexions critiques, de nature historiographique et théorique plus générale (par exemple, des réflexions sur l’espace public, la mémoire, les média).
  • des entretiens et une veille de l’actualité, des événements et des parutions d’ouvrages.

En ce qui concerne l’horizon temporel, à côté d’interventions strictement liées à l’actualité, la rubrique « inactuelles » est destinée à accueillir des textes classiques et des réflexions sur les usages publics du passé, y compris dans le passé.

Les langues du site sont le français, l’anglais et l’espagnol.

Nos remerciements vont à Francis Zimmermann, qui a mis en place le site dans le cadre du programme de recherche interdisciplinaire Sites web dynamiques de l’Ehess ; à Jean Blanchaert, auteur du bandeau ; et à Maurizio Garofalo, art director de la revue italienne Diario, pour son travail graphique.

Références bibliographiques

Bensa, Alban, Fabre, Daniel (dir.), 2001, Une histoire à soi, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme.

Gallerano, Nicola (dir.), 1995, L’uso pubblico della storia, Milan, Franco Angeli.

Habermas, Jürgen, 1988, « De l’usage public de l’histoire. La vision officielle que la République fédérale a d’elle-même est en train d’éclater », in Devant l’histoire. Les documents de la controverse sur la singularité de l’extermination des Juifs par le régime nazi, Paris, Éditions du Cerf.

Hartog, François, Revel, Jacques (dir.), 2001, Les Usages publics du passé, Paris, EHESS.