Depuis dix ans, nous animons un séminaire visant à tisser un dialogue entre les philosophes et les historiens. Notre réflexion commune a commencé, en décembre 2000, lorsque nous avons organisé un colloque autour du livre de Paul Ricœur, Mémoire, Histoire, Oubli. Ensuite, nous avons approfondi ce dialogue, dans la conviction que le passé ne concerne pas seulement les historiens, ne peut pas être un objet monopolisé par eux, et qu’il est indispensable d’interroger ensemble la dimension éthique du rapport au passé car c’est une condition du lien social et, en même temps, du dissensus civique.
Année 2001-2002 (Olivier Abel, Enrico Castelli Gattinara, Maurizio Gribaudi et Sabina Loriga)
Nous avons examiné l’idée de crise de la tradition dans la pensée de Hannah Arendt et ses conséquences pour la réflexion historique. Notre analyse a été fondée, en particulier, sur cinq essais contenus dans La crise de la culture (Paris, Gallimard 1972) : La brèche entre le passé et le futur, La tradition et l’âge moderne, Le concept d’histoire: antique et moderne, Qu’est-ce que l’autorité ? et Qu’est-ce que la liberté ?
Année 2002-2003 (Olivier Abel, Enrico Castelli Gattinara et Sabina Loriga)
Nous avons privilégié l’étude de cas concrets (en particulier, l’impact de certains grands procès politiques) pour analyser la relation entre vérité historique, vérité judiciaire et mémoire collective. Notre réflexion a été fondée, en particulier, sur les textes suivants : Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem. A Rapport on the Banality of Evil ; Annette Wieviorka, L’ère du témoin ; René Dulong, Le témoin oculaire. Les conditions sociales de l’attestation personnelle. En outre, nous avons pu bénéficier des conférences de Christian Delage sur le statut de l’image comme preuve et comme vecteur de mémoire dans le procès de Nuremberg, de Giovanni Levi sur la notion de vérité historique, et de David Schreiber sur la représentation du procès Barbie à la télévision.
Année 2003-2004 (Olivier Abel, Enrico Castelli Gattinara, Sabina Loriga, et Isabelle Ullern-Weité)
Nous avons abordé le problème de la contemporanéité et celui de l’anachronisme. Il s’agit d’une question historiographique étroitement liée à la compréhension éthique d’autrui d’une part, à la reconstruction cognitive d’autre part, d’une saisie poétique du temps : comment peut-on se faire contemporain d’une époque passée ? Comment peut-on s’approcher des gens d’autrefois, « de leur avoir-été-vivant » ? Notre réflexion s’est appuyée, en particulier, sur les textes suivants, à peu près cités dans l’ordre de nos séances de travail qui en ont, en réalité, croisé les analyses : de Siegfried Kracauer, le sixième chapitre de History. The Last Things Before the Last et « Une rue sans mémoire », réédité dans Rues de Berlin et d’ailleurs ; la deuxième partie de Temps et récit III, le temps raconté de Paul Ricœur ; l’article de Jacques Bouveresse, « Les énigmes du temps » ; l’essai de R.W. Emerson de 1844, « Experience » ; la « philosophie du paysage » de Georg Simmel ; l’article de Nicole Loraux, « Eloge de l’anachronisme en histoire » ; et l’article de Jacques Rancière, « Le concept d’anachronisme et la vérité de l’historien ».
Année 2004-2005 (Olivier Abel, Enrico Castelli Gattinara, Sabina Loriga, et Isabelle Ullern-Weité)
Nous nous sommes interrogés, en particulier, sur trois différentes dimensions de l’anachronisme.Tout d’abord, l’expérience de l’anachronisme comme ressource de vie et de liberté non sans un fonds nostalgique incontournable, grâce à l’examen du chapitre de Primo Levi, Se questo è un uomo, où l’auteur, pendant la corvée quotidienne de la soupe, raconte à Pikolo le chant de la Divina Commedia sur Ulysse. Ensuite, la notion de déformation temporelle dans l’étude du passé, à travers la conférence de David Pellauer, professeur à l’Université De Paul de Chicago, sur les différentes significations de l’histoire dans l’œuvre de Paul Ricœur, ainsi que la lecture des chapitres IV et V d’André Green, Le temps éclaté (Paris, 2000). Enfin, l’anachronisme en tant que sortie étrange et aporétique du temps historique, grâce à la conférence de nos collègues Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière, autour de leur livre History beyond Trauma. Where of one cannot speak there of one cannot stay silent (New York, 2004). Nous avons continué à travailler la question de la contemporanéité à travers la lecture parallèle de Burckhardt et de Nietzsche. Toujours dans cette perspective, nous avons comparé la conception intemporelle du « classique » chez Gadamer (dans Warheit und Methode, 1990, trad. fr, Paris, 1996) avec le travail de désynchronisation auquel Ricœur soumet le rapport au temps (« Vérité et méthode » dans Temps et récit, Paris, 1983-85), corrigeant en quelque sorte en permanence la distance par la distanciation. Dans cette perspective, en mai 2006, nous avons organisé une journée d’étude, dans le cadre du Fonds Ricœur, « Être anachroniques, se faire contemporain ».
Année 2005-2006 (Olivier Abel, Enrico Castelli Gattinara, Sabina Loriga, Olivier Remaud, David Schreiber, et Isabelle Ullern-Weité)
Nous avons continué à travailler la question de la contemporanéité à travers la lecture parallèle de Burckhardt et de Nietzsche. Toujours dans cette perspective, nous avons comparé la conception intemporelle du « classique » chez Gadamer (dans Warheit und Methode, 1990, trad. fr, Paris, 1996) avec le travail de désynchronisation auquel Ricœur soumet le rapport au temps (« Vérité et méthode » dans Temps et récit, Paris, 1983-85), corrigeant en quelque sorte en permanence la distance par la distanciation. Dans cette perspective, en mai 2006, nous avons organisé une journée d’étude, dans le cadre du Fonds Ricœur, « Être anachroniques, se faire contemporain ».
Année 2006-2007 (Olivier Abel, Enrico Castelli Gattinara, Sabina Loriga, David Schreiber, et Isabelle Ullern-Weité)
Nous avons ouvert une réflexion sur les responsabilités politiques de la pensée. Est-il possible et souhaitable, pour un historien ou un philosophe, de garder une attitude étrangère à la politique ou bien de s’engager en première personne dans les batailles politiques de sa propre société ? Est-ce qu’il a, sur ce point, des contraintes différentes que celles du romancier ? Nous avons commencé à aborder ces questions, qui touchent inévitablement la relation entre la biographie et l’œuvre, en réfléchissant sur les notions d’ « engagement », « désengagement », « embarquement » (cf. Albert Camus). C’est dans cette perspective, que nous avons privilégié deux entrées. D’une part, nous avons examiné l’attitude envers le politique de quelques grands penseurs, comme Georg Simmel, Martin Heidegger, et Karl Barth. D’autre part, nous nous sommes interrogés sur les effets de la pensée sur la longue période, à travers la réception de l’œuvre de Rousseau.
Année 2007-2008 (Olivier Abel, Enrico Castelli Gattinara, Sabina Loriga, David Schreiber, et Isabelle Ullern-Weité)
Dans un premier temps, nous avons analysé, en particulier, la controverse soulevée par Ariel Toaff dans son livre récent Pasque di sangue (2007), qui a remis au jour la vieille accusation de meurtre rituel portée contre les juifs, suscitant des débats nourris et tendus, en Italie d’abord, mais bientôt au delà d’elle (en l’espace de seulement deux mois, plus de cent cinquante articles ont été publiés dans les plus importants journaux italiens, israéliens, américains et même français). Nous avons cherché de reconstruire les logiques historiographiques et médiatiques qui ont nourri l’écriture de ce livre ainsi que les conséquences politiques immédiates de sa publication. En particulier, nous avons cherché de mettre en lumière les différents contextes de réception – en particulier, l’Italie et Israël. Dans cette interrogation, nous avons pu bénéficier de la présence de Pierre Savy (Université Paris-Est Marne-la-Vallée), qui a nous présenté une reconstruction historique de longue période de l’accusation de meurtre rituel et analysé les mécanismes de la croyance.
L’affaire Toaff nous a ensuite conduit à ouvrir une double interrogation. D’une part nous avons commencé une analyse de la notion d’espace public et de ses transformations contemporaines – dans ses multiples dimensions, nationales, religieuses, médiatiques, etc., qui souvent se superposent ou s’entrecroisent. Dans cette perspective, nous avons confronté la lecture classique de Habermas avec celle critique de Judith Butler, qui pense l’espace public à partir de situations concrètes spécifiques. D’autre part, nous sommes revenus sur le thème des responsabilités de la recherche à travers les travaux de Max Weber et de Frank Furedi. En particulier, Annette Disselkamp (Université de Lille 1) a reconstruit le contexte historique et les enjeux philosophiques des célèbres conférences de Max Weber sur le savant et le politique, abordant, en particulier, la question des conséquences de la parole savante.
Année 2008-2009 (Olivier Abel, Sabina Loriga, David Schreiber, et Isabelle Ullern-Weité)
Nous avons continué à travailler la question du lien entre les responsabilités politiques de la pensée et la dynamique d’une œuvre ou d’une recherche, spécifiquement inscrite dans une discipline de pensée (comme l’histoire, la philosophie, les sciences humaines, etc.).
Nous avons abordé, en particulier, le problème de la responsabilité du récit. Le récit d’émancipation universelle, moteur de la modernité, a volé en éclats sous la critique. Mais l’affaissement des capacités narratives n’entraîne t-il pas celui de la responsabilité éthique et politique ? Comment penser notre responsabilité historique dans un monde « managé » par la juxtaposition de petits récits et témoignages performants, et où la situation faite à la pensée, ses cadres, ont ainsi été bouleversés ? Pour aborder ces questions, nous avons privilégié deux perspectives. D’une part, nous avons cherché à historiciser l’affaissement des capacités narratives. Comme Jean-François Lyotard lui-même le dit, dans La condition postmoderne, il s’agit de « repérer les germes de ‘délégitimation’ et de nihilisme qui étaient inhérents aux grands récits du XIXe siècle ». Nous avons donc traité, en particulier, deux moments clé du processus de délégitimation du récit. Tout d’abord, l’aphasie de « 1914 », à travers la lecture d’Une lettre de lord Chandos de Hugo von Hofmannsthal et d’Expérience et pauvreté de Walter Benjamin. Ensuite, la découverte de la barbarie en « 1942 », à travers la rencontre manquée entre Theodor Adorno et Paul Celan et, plus tard, la polémique sur la « morale de la représentation de l’extermination » entre Jacques Rivette, Jean-Luc Godard et Claude Lanzmann. D’autre part, la lecture de certains textes de Jacques Rancière (Le Maître ignorant, et Le partage du sensible) nous a permis de commencer à explorer les motivations politiques et culturelles qui conduisent à contester la prétention des sciences sociales à énoncer une forme de connaissance objective et universelle et à accorder légitimité à d’autres formes de savoir « non-savantes ».
Un certain nombre de participants au séminaire ont activement contribué à ce travail d’analyse des textes. Nous avons pu bénéficier, en particulier, des contributions de Agnès Gueuret pour la lecture de Celan, et de Damien Marguet (doctorant Paris III) pour le débat sur les images.
Année 2009-2010 (Olivier Abel, Sabina Loriga, David Schreiber, et Isabelle Ullern-Weité)
Nous avons continué à travailler la question de la responsabilité de la parole de manière transversale. Notre point de départ a été la manière dont les romanciers du XXe siècle ont imaginé la figure et le travail de l’historien. Nous avons distingué au moins trois figures récurrentes (l’érudit dépourvu de vie, l’historien instrumentalisé par le pouvoir politique, l’historien impuissant). Cet exercice – essayer de regarder l’histoire à travers les yeux de la littérature – nous a ensuite permis d’ouvrir quelques questions à propos du « doute » qui entoure l’historien.
A cet égard, notre réflexion s’est enrichie en deux directions. D’une part, à travers un « saut » en arrière, nous avons interrogé les différentes manières dont Pierre Bayle et Pierre-François Daunou ont abordé la question du scepticisme en relation étroite avec la question du récit (écriture synoptique, globale, perspectiviste). Par ailleurs, nous avons commencé à explorer la question de la brisure entre vie psychique (subjectivité) et collectif (historique), grâce aux textes Sarah Kofman et de Rachel Rosenblum.
Nous avons poursuivi cette réflexion en lien avec la constitution de l’Atelier international sur les usages publics du passé. Dans ce cadre, un certain nombre de participants au séminaire (Charlotte Baratin, Camille Creighton, Agnès Guereut, Damien Marguet, VictoriaWeideman) ont activement contribué à signaler et analyser des affaires qui ont mobilisé les opinions publiques sur des objets d’histoire. Nous avons pu également bénéficier des contributions de Rika Benveniste (Université de Thessalie) sur le « coming out » des études juives en Grèce, ainsi que de Philippe Büttgen (CNRS) sur la controverse déclenchée par la parution, en 2008, du livre de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel.
Année 2010-2011 (Olivier Abel, Stefano Bory, Sabina Loriga, David Schreiber, et Isabelle Ullern-Weité)
Notre point de départ a été le diagnostic sur la crise du grand récit, proposé par Jean-François Lyotard dans La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Les Editions de Minuit, 1979. Nous avions déjà eu l’occasion de réfléchir sur ce diagnostic au cours de l’année 2008-2009, lorsque nous avions cherché à historiciser ces questions, en nous interrogeant sur les précédents de cette crise – à savoir sur les germes de ‘délégitimation’ et de nihilisme qui étaient inhérents aux grands récits du XIXe siècle, et qui avaient multiplié les images d’engourdissement, paralysie, et mutisme.
Cette année, nous avons abordé les suites de cette crise. Est ce que le 11 septembre a provoqué un retour du grand récit ? En particulier, est-ce que le récit de l’émancipation a été remplacé par celui de l’effondrement – d’une époque ou d’une civilisation ?
Plutôt que de développer des réponses générales, nous avons cherché à « décliner le déclin » (cf. Stanley Cavell) : à savoir, creuser les décalages et les variations entre les différentes figures de la fin (éboulement, écroulement, dévastation). A cette fin, nous avons discuté, en particulier, les textes suivants : Jürgen Habermas, Jacques Derrida, Le « Concept » du 11 septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre 2001) avec G. Borradori, Paris, Galilée, 2003 ; Judith Butler, « Violence, deuil et mélancolie » (2001), dans Vie précaire ; les pouvoirs du deuil et de la violence après le 11 septembre 2001, Paris, Amsterdam, 2003 ; John Carroll, The Wreck of Western Culture (1993), Wilmington, Delaware, Isi Books, 2004. Il est apparu que, tandis que Habermas et Derrida continuent de référer un horizon critique de conscience historique, paradoxalement Judith Butler semble plus ancrée dans un monde arraché à l’orbe de l’histoire. En revanche, pour les trois philosophes exposés à la violence du terrorisme et de « l’appel à la guerre », la question demeure politiquement celle, moderne, de déterminer comment penser une démocratie de l’hospitalité (Derrida, Butler), une pacification critique (Habermas, Derrida) ou sensible (Butler avec le deuil) du politique, face à l’exigence éthique des « vies précaires » considérées dans leur socialité ordinaire.
Comme lors de l’année précédente, nous avons poursuivi cette réflexion en lien avec le travail de l’Atelier international sur les usages publics du passé. Dans ce cadre, un certain nombre de participants au séminaire (Jean-François Bonhoure, Alessia Pedio,) ont activement contribué à signaler et analyser des affaires qui ont mobilisé les opinions publiques sur des objets d’histoire. Nous avons pu également bénéficier des contributions de Angela Mengoni (Université de Bâle) sur Muriel de Alain Resnais, ainsi que de Ophir Lévy (Sorbonne – Paris I) et de Damien Marguet (Sorbonne – Paris I), qui ont présenté l’ouvrage collectif Théâtres de la mémoire. Mouvement des images Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2010). Ces interventions ont mis en lumière les façons dont, en mobilisant l’imaginaire, le cinéma modifie les frontières entre mémoire et histoire.
Année 2011-2012 (Olivier Abel, Stefano Bory, Sabina Loriga, David Schreiber, et Isabelle Ullern-Weité)
Cette année, nous avons abordé la question des figures de la fin, à travers la lecture de trois ouvrages classiques : Frank Kermode, The Sense of an Ending (1967), Northrop Frye, The Great Code: The Bible and Literature (1982), ainsi que Norman Cohn, The Pursuit of the Millennium (1957). A partir de ces lectures nous nous sommes interrogés sur les survivances et les accrétions apocalyptiques dans la modernité et la post-modernité. Nous avons appuyé notre réflexion en particulier sur l’ouvrage de Saul Friedländer, Gerard Holton, Leo Marx et Eugene Skolnikoff, Visions of Apocalypses. End or Rebirth ? (1985), ouvrant la question du rapport entre la tradition apocalyptique et les utopies et dystopies du XIXe et XXe siècle. Nous avons également abordé ce qu’il est possible d’appeler « l’oublié de l’apocalypse », c’est-à-dire la tradition apocalyptique juive, hébraïque ancienne, issue du livre de Daniel, en revenant à l’ouvrage d’un historien du début du 20è siècle, Adolphe Lods, helléniste et sémitisant. Il y a « oublié » dans la mesure où ce qui ne relève pas de la perspective de l’apocalyptique chrétienne est rarement pris en compte dans les études des discours apocalyptiques en sciences humaines. Nous avons terminé avec une séance dédiée au cinéma de la fin, en analysant notamment trois films qui ont élaboré des imaginaires de la fin du monde socio-historique : On the beach (S. Kramer, 1959) ; Twelve Monkeys (T. Gilliam, 1995) ; The road (J. Hillcoat, 2009).
Comme l’année précédente, nous avons poursuivi cette réflexion en lien avec le travail de l’Atelier international sur les usages publics du passé. Anna Theodorides a présenté son projet de thèse sur la mémoire d’une communauté de rûms nés à Istanbul et partis sous la contrainte en Grèce entre 1964, au moment des expulsions, et 1978, au lendemain du contrôle de la partie Nord de l’île de Chypre par l’armée turque. Lorenzo De Sabbata, étudiant de master 2, a abordé la question de la mémoire de la lutte armée d’extrême gauche en Italie, à travers un examen de différents types d’écrits biographiques (mémoires, entretiens, autobiographies « classiques », textes de fiction) produits, entre le début des années 1980 et la fin de la première décennie des années 2000, par une quarantaine d’ex-militants des organisations armées. Pour sa part, Gabriele Proglio a présenté sa recherche de doctorat sur le refoulement de l’expérience coloniale dans la mémoire collective italienne, à travers l’examen de la littérature de la période coloniale et post-coloniale.
Par ailleurs, nous avons eu le plaisir d’accueillir trois intervenants externes. Henriette-Rika Benveniste (Université de Thessalie) est intervenue sur le rapport entre récit historique et fiction : à partir de la conviction que les archives ne sont pas simplement constituées par des objets, c’est à dire des documents qui prennent leurs significations dans une matérialité objective, elle s’est interrogée en particulier sur l’usage d’un registre inquisitorial médiéval dans l’œuvre littéraire de Danilo KiÅ¡. Celia Donert (Zentrum für Zeithistorische Forschung, Potsdam) a présenté ses recherches sur la question de droits humains et des usages de l’histoire tzigane. Enfin Giovanni Careri (EHESS) a abordé une partie de son travail consacré à la Chapelle Sixtine en privilégiant l’approche de la temporalité pour faire écho à la problématique du séminaire.
Année 2012-2013 (Olivier Abel, Sabina Loriga, David Schreiber, et Isabelle Ullern-Weité)
Cette année, dans la suite de notre réflexion consacrée aux discours politiques de la fin et, parmi eux, au discours apocalyptique, nous avons abordé, plus particulièrement, la question de la pensée utopique, fondée sur des rêves-de-désir et le besoin ou la nécessité de croire en « quelque chose d’autre » : sous diverses formes rhétoriques, l’utopie travaille à des mobilisations de l’imagination, en altérant la phénoménologie du temps historique pour que l’éthique prime radicalement le politique. Dans cette perspective, nous avons lu et discuté les ouvrages classiques de Karl Mannheim, Paul Ricœur, François Furet et Miguel Abensour. Ces lectures ont ouvert deux questions fondamentales. D’une part, celle concernant le rapport entre le réel et l’utopie : celle-ci est-elle le produit d’un détachement de la réalité ou bien une méthode spécifique pour appréhender le réel ? D’autre part, est-il possible de distinguer des phases historiques d’effervescence et de disqualification de l’imaginaire utopique ? Dans ce cadre, nous avons pu bénéficier de l’intervention de Miguel Abensour, « Utopiques. Approches des percées utopiques (la conversion utopique, l’utopie du livre) ».
Comme les années précédentes, nous avons poursuivi cette réflexion en lien avec le travail de l’Atelier international sur les usages publics du passé. Dans ce cadre, un certain nombre de participants au séminaire (Filippo Benfante, Melissa Vassilakis, Jean-Paul Lesimple, Anne Fouquet) ont activement contribué à signaler et analyser des affaires qui ont mobilisé les opinions publiques sur des objets d’histoire.
Toujours dans le cadre de ce séminaire, le 2 février 2013, nous avons organisé une journée doctorale, où des étudiants de master, de doctorat et de postdoc ont présenté leurs recherches : Pablo Aviles Flores, Leonardo Carrio Cataldi, Antonin Coduys, Lorenzo De Sabbata, Bianca Dematteis, David Jorge Domínguez González, Aurore Dumont, Delphine Froment, Gabriele Proglio, Henning Trueper.
Notre réflexion sur les usages publics du passé a abouti à deux journées d’études, le 20 et 21 juin 2013, intitulées Quels usages des Lumières ?, organisées en collaboration avec Antoine Lilti et Silvia Sebastiani.
Année 2013-2014 (Olivier Abel, Sabina Loriga, David Schreiber, et Isabelle Ullern-Weité)
Cette année, dans la suite de notre réflexion consacrée aux discours politiques de la fin et, parmi eux, le discours apocalyptique, nous avons continué d’aborder, plus particulièrement, la question de la pensée utopique, fondée sur des rêves-de-désir et le besoin ou la nécessité de croire en « quelque chose d’autre ». Dans une première partie, nous avons creusé le lien controversé entre totalitarisme et utopie, renvoyant à différentes conceptions du lien premier qui fonde une « communauté humaine ». Ensuite, nous avons abordé la question du rapport entre historiographie et pensée utopique ainsi que les reformulations récentes des pensées utopiques ou leurs réactivations nostalgiques. Notre réflexion s’est conclue par deux journées d’études, prévues pour le 6 et 7 juin 2014.
Une partie du séminaire fut aussi consacrée à la préparation des articles en vue de leur publication sur le site de l’Atelier international sur les usages publics du passé, sous la forme d’un comité de rédaction auquel furent associés les étudiants.